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[Epopée] De solides fondations ont permis ce formidable parcours

Anniversaire 40 ans Epopée Saint-Etienne

Le retour au vestiaire est difficile. Certains visages sont tournés vers le sol ; d'autres, humidifiés par les larmes. Cette soirée du 12 mai 1976 s'achève de la pire des façons pour les footballeurs de l'AS Saint-Etienne. Frustrés, abattus et battus. Les poteaux carrés d'Hampden Park et le coup franc du Munichois Franz Roth ont annihilé leurs espoirs de remporter la première Coupe d'Europe des clubs champions française. Pourtant, la légende est en marche. A défaut de remporter le trophée, ils ont gagné à jamais le cœur des Français. Comme la cote d'amour de Raymond Poulidor, l'éternel second, reste supérieure à celle d'un Jacques Anquetil quintuple vainqueur du Tour de France, l'aura des Stéphanois ne s'est pas étiolée avec le temps. Dans la mémoire collective, elle devancerait presque celles de l'Olympique de Marseille 1993 et du Paris Saint-Germain 1996, sacrés, eux, sur la scène continentale. En témoignent les festivités organisées autour du 40e anniversaire de l'épopée des Verts et la parution de multiples ouvrages à cette occasion, dont « Un Printemps 76 » (Vincent Duluc), qui vient de recevoir le prix Antoine Blondin. .

Comprendre comment, trente ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, une poignée de footballeurs sont devenus des héros nationaux exige de se replonger dans le contexte de l'époque. Quand les Verts atteignent une première fois les quarts de finale de la compétition lors de la saison 1974-1975, c'est un véritable événement : il s'agit effectivement d'une première depuis le Stade de Reims… douze ans plus tôt. Et ce n'est pas l'équipe de France, incapable de se qualifier pour les Coupes du monde 1970 et 1974 ou le Championnat d'Europe 1972, qui relève le niveau. Autant dire que ce groupe composé en grande partie de jeunes joueurs formés au club fait souffler un vent de fraîcheur et rend meilleur le quotidien d'une ville industrielle confrontée à des défis économiques majeurs après les Trente Glorieuses.

Le rôle de la télévision a également son importance. A une époque où les écrans de télévision se propagent dans les foyers hexagonaux, il n'est pas encore possible de regarder du football chaque soir ou presque. Autant dire que le moindre match retransmis constitue un événement. Et quand, en plus, la rencontre en question voit des Français renverser des montagnes… Tous les ingrédients sont réunis pour séduire l'Hexagone entier voire même au-delà.

Comprendre les succès stéphanois des années 70 exige de remonter le temps. Si la famille Guichard, propriétaire du groupe Casino, crée officiellement l'AS Saint-Etienne en 1933, Philippe Gastal considère 1950 comme « la date qui est peut-être la plus importante dans l'histoire du club ». Une thèse que l'historien de l'ASSE et conservateur du musée des Verts développe : « A l'époque, le club est au bord de la faillite. Le maire, Alexandre de Fraissinette, demande alors à Pierre Guichard de revenir à la présidence, puis fait voter une subvention exceptionnelle de 10 millions de francs. »

De nouveau aux commandes, Pierre Guichard mise sur deux hommes pour pérenniser l'institution : Charles Paret, responsable logistique et transport chez Casino, qui va s'imposer comme l'un des meilleurs connaisseurs de la réglementation du football professionnel jusqu'à son décès en 1977 ; Jean Snella, ancien joueur du club et à ce moment-là entraîneur de la réserve. Celui-ci hésite avant d'accepter de diriger l'équipe première, convaincu notamment par son ami et ancien coéquipier Pierre Garonnaire, qu'il sollicite à son tour.

Epopee Saint-Etienne

« Jean Snella avait une vision à moyen et long terme, il souhaitait que le club progresse en particulier dans le recrutement des jeunes, rembobine Philippe Gastal. Quelque part, Pierre Garonnaire a créé la fonction de recruteur avec la mise en place d'un réseau d'informateurs dans tout le pays et des déplacements fréquents pour repérer les éléments les plus prometteurs, notamment en suivant de près les équipes de France de jeunes. » Et c'est ainsi que, le 12 mai 1976 à Glasgow, l'AS Saint-Etienne aligne neuf joueurs formés au club et repérés dans toute la France.

Paret, Snella, Garonnaire, les hommes sont en place et conduisent le club à son premier titre de champion de France en 1957. Ne manque que la locomotive pour lancer définitivement l'ASSE sur les bons rails. Cette locomotive, c'est Roger Rocher, qui va s'attacher à structurer le club comme une entreprise, avec différents services. Sous sa présidence, l'innovation est multiple : déplacements en avion plutôt qu'en train pour une meilleure récupération des joueurs, création d'une véritable structure médicale, ouverture d'un centre de formation dès 1968 ou encore développement du merchandising jusqu'à l'ouverture d'une première boutique en 1977.

Roger Rocher s'illustre également par des choix d'entraîneurs judicieux. Entre 1963 et janvier 1983, ils ne sont que trois à s'asseoir sur le banc et chacun apporte sa pierre à l'édifice : Jean Snella (1963-1967), de retour d'une expérience au Servette Genève, Albert Batteux (1967-1972) et surtout Robert Herbin (1972- janvier 1983). Ce travail minutieux porte une première fois ses fruits. Entre 1967 et 1970, les Verts enchaînent effectivement quatre titres de champion (record qui a tenu jusqu'aux sept succès du voisin lyonnais entre 2002 et 2008) agrémentés des Coupes de France 1968 et 1970.

L'année suivante, ils sont même tout proches d'étirer leur série. C'est sans compter sur l'Olympique de Marseille de l'ambitieux président Leclerc, qui veut s'emparer du trône et décide pour cela de débaucher des éléments clés de son rival. Ainsi naît l'affaire Carnus-Bosquier, qui déstabilise des Ligériens en tête jusqu'à la 32e journée. Rebelote l'année suivante, l'OM portant cette fois-ci son dévolu sur Salif Keita. Deux épisodes qui sèment le trouble entre le président stéphanois et Albert Batteux.

A l'été 1972, Roger Rocher a un nom en tête pour le remplacer : celui de son capitaine, Robert Herbin, qui passe ses diplômes d'entraîneur. “Roby”, 33 ans, accepte de tirer un trait sur sa carrière de joueur pour relever le défi. Son projet ? Associer des cadres comme Georges Bereta et Jean-Michel Larqué à de jeunes joueurs formés au club en s'appuyant sur l'ossature de l'équipe vainqueur de la Gambardella en 1970. A savoir, par ordre alphabétique, Christian Lopez, Alain Merchadier, Patrick Revelli, Christian Sarramagna, Jacques Santini et Christian Synaeghel. Sa seule requête en matière de recrutement ? Un gardien ainsi qu'un un défenseur central de qualité et expérimentés. Une mission dont s'acquitte Pierre Garonnaire en allant engager Ivan Curkovic, débauché des cages du Partizan Belgrade et soufflé au SC Bastia, et l'Argentin Osvaldo Piazza, à Lanus.

Epopee Saint-Etienne

Dans un système et une organisation influencée par le modèle hollandais, la recette porte ses fruits. «Quand Robert Herbin a pris l'équipe, il a apporté une nouvelle façon de s'entraîner, raconte le libéro de l'époque, Christian Lopez. Nous avons été surpris par les premières séances, il y avait beaucoup d'intensité par rapport à celles d'Albert Batteux. C'était difficile, au début. Entre ces progrès dans la préparation athlétique et le fait d'être encadrés par des joueurs extraordinaires, on ne pouvait que progresser. D'autant que la concurrence nous poussait à être à 100 % en permanence. »

Epopee Saint-Etienne

La première saison est prometteuse, avec une 4e place et un quart de finale de Coupe de France. Que dire de l'exercice 1973-1974, conclu sur un doublé coupe-championnat flamboyant (huit points d'avance sur le FC Nantes) ? Trois ans après leur participation à la Coupe UEFA (devenue depuis la Ligue Europa), les Verts retrouvent donc l'Europe par la grande porte, mais sans bomber le torse. Comme les autres clubs français, Georges Bereta et ses coéquipiers n'ont guère brillé jusque-là sur la scène continentale. En six participations à la Coupe d'Europe des clubs champions, ils n'ont passé le premier tour qu'à deux reprises… La belle remontée de 1969 face au Bayern Munich (0-2, 3-0), vainqueur de la Coupe d'Europe des vainqueurs de coupe deux ans avant, est restée sans lendemain.

Le début de la campagne 1974-1975 s'avère encourageant. Au-delà de la double confrontation face au Sporting Portugal (2-0, 1-1), autre vainqueur de la Coupe des coupes (1964), le tournant intervient en 8e de finale. Le match aller tourne pourtant au cauchemar. En Yougoslavie, les Verts subissent les foudres d'Hajduk Split (4-1), concédant trois buts après la pause. Si la télévision française décide de ce fait de ne pas retransmettre la deuxième manche, les Verts ne l'abordent pas fatalistes. « On était vexé d'avoir été chambré par les “Yougos” », lâche Christian Lopez.

L'ASSE mène 3-1 à l'entrée du dernier quart d'heure lorsque son entraîneur procède à un remplacement gagnant : trois minutes après son entrée en jeu à la place de Pierre Répellini, Yves Triantafilos remet les compteurs à égalité d'un maître coup franc avant de marquer le but de la qualification durant la
prolongation (5-1). Pour la première fois, les Verts ont gagné le droit de voir le printemps européen.

Orphelins de leur capitaine, Georges Bereta, transféré contre son gré à l'Olympique de Marseille, les Verts se débarrassent non sans peine des Polonais de Ruch Chorzow (2-3, 2-0) en quarts de finale. Leur adversaire en demi ? Le Bayern Munich, triple champion d'Allemagne en titre et qui vient de gagner sa première C1 face à l'Atletico Madrid. Dans ses rangs, Sepp Maier, Franz Beckenbauer, Paul Breitner, Ulli Hoeness ou encore Gerd Müller, cadres de la RFA qui a remporté la Coupe du monde 1974. Bien que poussés vers la sortie (0-0, 2-0) aux portes de la finale, à laquelle ils assistent depuis les tribunes du Parc des Princes, il y a de quoi se réjouir. Malgré une équipe inexpérimentée, leur parcours est un succès.

Gérard Farison, qui vit aujourd'hui à Saint-Raphaël, impute cette performance à la stabilité de l'effectif. « On venait de travailler pendant plusieurs années avec un groupe pratiquement inchangé, commente celui qui occupait le poste de latéral gauche. Au-delà des qualités de chacun, on se connaissait par cœur et on se trouvait les yeux fermés. C'était facile pour nous ! Et Split a été un déclic. On sentait qu'on avait une équipe compétitive, performante en France, mais avoir su renverser la vapeur nous a véritablement donné confiance. » Surtout, l'équipe conserve sa couronne hexagonale, synonyme de nouvelle participation à la C1. Elle y ajoute une nouvelle Coupe de France, réalisant le premier “double doublé” de l'histoire du football tricolore.

Les statistiques et les pages du site www.anciensverts.com